L’usufruit successif du conjoint / cohabitant légal survivant : quels effets sur votre planification patrimoniale ?

Publié le 25 mars 2020

Notre droit civil belge a vu naître une nouvelle notion : l’usufruit successif du conjoint / cohabitant légal survivant.

Ainsi, notre droit prévoit en son article 858bis C. civ. que «  le conjoint survivant qui vient à la succession recueille, au décès du donateur, l’usufruit des biens que celui-ci a donnés et sur lesquels il s’est réservé l’usufruit, pour autant que le conjoint ait déjà cette qualité au moment de la donation et que le donateur soit resté le titulaire de cet usufruit jusqu’au jour de son décès ».

  • Donation avec réserve d’usufruit

La donation avec réserve d’usufruit est un mécanisme de planification patrimoniale qui comporte de nombreux avantages dont notamment, la possibilité de transférer la (nue-)propriété d’un élément actif de son patrimoine tout en permettant au donateur de conserver la jouissance des biens donnés et de continuer à en percevoir les fruits (les loyers dans le cas d’un immeuble ou les dividendes/intérêts dans le cas d’un portefeuille-titres) qu’ils produisent.

En outre, l’extinction du droit d’usufruit ne donne pas lieu à la perception de droits de succession. Cela en fait dès lors un mécanisme particulièrement attractif.

  • Réforme civile des libéralités et des successions

Cependant, suite à la réforme du droit des successions opérée par les lois du 31 juillet 2017[1] et 22 juillet 2018[2]  et entrée en vigueur le 1er septembre 2018, en vertu de l’article 858bis du code civil, lorsqu’une donation est consentie avec réserve d’usufruit, le conjoint survivant bénéficie automatiquement d’un usufruit dit « successif » légalement attribué.

Cela a pour conséquence que l’usufruit que le donateur s’est réservé sa vie durant sur les biens donnés s’éteindra à son décès mais, alors même que la nue-propriété est déjà entre les mains du donataire, un nouvel usufruit va naître dans le chef du conjoint survivant qui aura à son tour l’usage et la jouissance des biens donnés par son défunt conjoint jusqu’à son propre décès.

  • Champ d’application

Cet usufruit revient au conjoint survivant quel que soit le bénéficiaire de la donation et quel que soit le bien qui en a été l’objet.

Le cohabitant légal survivant ne bénéficie quant à lui de l’usufruit successif que lorsque la donation consentie par le cohabitant légal prédécédé porte sur l’immeuble affecté durant la vie commune à la résidence commune de la famille et les meubles meublants qui le garnissent[3].

L’usufruit « successif » sera attribué de plein au conjoint survivant pour autant que les conditions imposées par la loi soient respectées. Ainsi, l’époux donateur doit :

  • s’être réservé l’usufruit des biens donnés ;
  • s’être réservé l’usufruit dans le cadre d’une donation consentie pendant la durée du mariage avec le conjoint survivant ;
  • être resté le titulaire de cet usufruit jusqu’au jour de son décès.

En outre, l’usufruit « successif » est un droit éventuel. En effet, celui-ci ne trouvera pas à s’appliquer dans les cas suivants :

  • Si le donateur survit à son conjoint ou à son cohabitant ;
  • Si le donateur a renoncé à son droit d’usufruit. La renonciation du donateur à son usufruit prive le conjoint ou le cohabitant légal survivant de son droit d’usufruit ;
  • Si les biens qui ont été donnés avec réserve d’usufruit ont été vendus, ceux-ci ne feront plus partie du patrimoine du donateur au jour de son décès et l’usufruit successif du conjoint survivant ne s’ouvrira pas.

Enfin, l’usufruit successif étant un droit successoral, le donateur ne peut, directement dans l’acte de donation, priver seul son conjoint de cet usufruit. En effet, procéder de la sorte constituerait un pacte successoral non autorisé par le Code civil.

  • Fiscalité successorale

Etant donné que l’usufruit successif naît sur un actif qui est déjà sorti de la succession du défunt en raison de la donation qu’il a consentie de son vivant, ce droit ne peut être taxé qu’en vertu d’une fiction légale.

La Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale n’ont pas légiféré en la matière. Dès lors, lorsque la succession du défunt dépend de l’une de ces deux régions, l’usufruit successif du conjoint/cohabitant légal survivant ne donne lieu à aucune imposition.

La Région flamande a quant à elle adopté une disposition imposant un tel usufruit successif recueilli légalement.

  • Et si le donateur souhaite mettre l’usufruit successif hors jeu ?

Si le donateur ne souhaite pas que son droit d’usufruit passe entre les mains de son conjoint, plusieurs alternatives s’offrent à lui:

  • Le conjoint peut lui-même renoncer anticipativement à cet usufruit successif légalement attribué

Pour ce faire, le conjoint intervient dans l’acte de donation. Cette intervention doit revêtir la forme d’un « pacte successoral » autorisé qui est nécessairement notarié et qui est soumis à la procédure prévue aux articles 1100/2 à 1100/6 du Code civil, à savoir :

      • Chaque partie reçoit un projet du pacte successoral.
      • Une réunion, qui ne pourra se tenir avant l’écoulement d’un délai de 15 jours à dater de la réception du projet, sera l’occasion d’expliquer, en toute transparence, le contenu du pacte et ses conséquences.
      • La signature du pacte ne pourra intervenir au plus tôt qu’un mois après la réunion.
  • Le donateur peut priver le conjoint survivant, dans les limites de sa réserve héréditaire, de cet usufruit successif par voie de testament
  • Le donateur peut renoncer, juste avant son décès, à son droit d’usufruit. Comme nous l’avons vu supra, la renonciation du donateur à son usufruit prive le conjoint ou le cohabitant légal survivant de son droit d’usufruit

En conséquence, le futur donateur veillera à tenir compte de tous les éléments de sa situation et tous les effets d’un tel mécanisme et, le cas échéant, à prendre les mesures qui s’imposent pour se préserver de ses potentiels effets indésirables.

 

Pour toute question sur le sujet, n’hésitez pas à prendre contact avec notre associé spécialisé dans ces questions, Me Gilles de FOY.

 

[1] Loi du 31 juillet 2017 modifiant le Code civil en ce qui concerne les successions et les libéralités et modifiant diverses autres dispositions en cette matière, M.B., 1er septembre 2017.

[2] Loi du 22 juillet 2018 modifiant le Code civil et diverses autres dispositions en matière de droit des régimes matrimoniaux et modifiant la loi du 31 juillet 2017 modifiant le Code civil en ce qui concerne les successions et les libéralités et modifiant diverses autres dispositions en cette matière, M.B., 27 juillet 2018.

[3] Article 858bis, §4 du Code civil.

Partager cet article

CONTACT

Bazacle & Solon
S.R.L.
BCE 0654.839.377

Avenue Roger Vandendriessche 18 (bte 7)
1150 Bruxelles – Belgique

+ 32 (0) 2 770 56 24