L’hypothèque inversée (crédit logement inversé) : risque ou opportunité ?

Publié le 1 mars 2021

Une proposition de loi visant à permettre, en droit belge, l’avènement du mécanisme de l’hypothèque inversée vient d’être déposée (crédit logement inversé) à la chambre[1]. 14 ans après la crise des subprimes, causée entre autres par l’offre de formules agressives et risquées de prêts hypothécaires aux Etats-Unis, le droit belge va-t-il bientôt connaître cette nouvelle formule de crédit, permettant principalement aux personnes âgées, propriétaires d’un ou plusieurs biens, de disposer d’un surplus de liquidités pour leurs vieux jours ?

1. L’hypothèque inversée en quelques mots

L’hypothèque inversée – que le grand public connaîtra sans doute mieux sous l’appellation « crédit logement inversé » -, est une forme de crédit bancaire qui permet aux propriétaires d’un immeuble, au choix, de disposer d’un capital ou de percevoir une rente mensuelle. En contrepartie, l’immeuble est donné en garantie à la banque, et les propriétaires peuvent y demeurer – s’ils y habitent et s’ils le souhaitent – jusqu’à leur décès. C’est à ce moment-là qu’un choix s’offre aux ayants-droit : rembourser la banque ou vendre l’immeuble, de gré à gré ou de manière forcée. Des délais sont prévus.

L’obligation de rembourser le crédit se matérialise au décès de l’emprunteur.

Le concept de l’hypothèque inversée, comme son nom l’indique, inverse les rôles « classiques » de la banque et de son client dans le cadre d’un crédit hypothécaire : le propriétaire n’achète pas un immeuble, mais le « vend »[2] à la banque, à charge pour la banque de lui reverser un capital ou une rente régulière jusqu’à son décès.

Le mécanisme de l’hypothèque inversée peut également se concevoir avec un tiers-affectant hypothécaire mettant son immeuble en garantie, la rente ou le capital versé par la banque profitant, par exemple, à un autre membre de la famille.

Lorsque le propriétaire décède, la banque récupère le capital payé à la vente de l’immeuble.

2. La proposition de loi sur l’hypothèque inversée : quelques éléments-clés

Le mécanisme de l’hypothèque inversée, qui existe déjà – selon différentes modalités – en France et aux Pays-Bas, mais également au Canada, aux Etats-Unis, en Australie, à Taïwan et à Hong-Kong (reverse mortgage), nécessite certaines adaptations aux règles applicables au crédit hypothécaire telles qu’en vigueur en droit belge. Tel est l’objet de la proposition de loi actuellement en discussion.

2.1. Pas d’analyse de solvabilité, mais expertise immobilière obligatoire

A titre d’exemple, dans le cas d’une hypothèque inversée, le prêteur ne devrait pas procéder à une analyse de la solvabilité de l’emprunteur et de ses capacités de remboursement, une telle analyse étant inutile. En réalité, seule importe la valeur de l’immeuble sur lequel l’hypothèque est constituée[3].

La détermination de cette valeur supposerait la réalisation préalable d’une expertise immobilière indépendante et par un intermédiaire agréé par les parties au contrat. Cette expertise serait d’autant plus importante que le montant prêté ne pourrait en aucun cas dépasser la valeur du bien hypothéqué, sauf cas particuliers (faute du débiteur, éviction, etc.).

2.2. Devoir de conseil et devoir d’information renforcés

Le devoir d’information du banquier et son devoir de conseil seraient renforcés, avant l’octroi d’un crédit hypothécaire inversé, afin de s’assurer que l’emprunteur inexpérimenté soit bien conscient de la portée de son acte juridique.

2.3. Davantage de frais

La mise en place d’un crédit avec hypothèque inversée nécessite, dans le chef de la banque, une gestion particulière de chaque dossier : elle doit s’assurer du maintien de la valeur de sa sûreté réelle et doit, par conséquent, procéder à un contrôle périodique de l’état du bien, et s’assurer de l’actualité de l’assurance-incendie portant sur celui-ci. Aux frais de dossier devraient donc s’ajouter des frais de gestion, imputables à l’emprunteur.

2.4. Publicité hypothécaire et enregistrement auprès de la CCP

Le crédit devrait faire l’objet d’un enregistrement positif auprès de la Centrale des Crédits aux Particuliers (CPP). On suppose que les banques n’accepteraient par ailleurs qu’une inscription de leur hypothèque en premier rang.

2.5. Fin du contrat de crédit

Outre l’arrivée du contrat à son terme, la faute de l’emprunteur ou du tiers affectant hypothécaire pourrait entraîner une résiliation anticipée du contrat de crédit avec hypothèque inversée (non-paiement de la prime de l’assurance incendie, le fait de na pas autoriser de contrôle de l’état du bien hypothéqué, la négligence du bien hypothéqué, etc.). D’autres causes telles l’expropriation ou l’éviction du bien par un autre créancier pourraient également entraîner une fin anticipée du contrat de crédit. Dans certains cas, les versements périodiques dont la banque serait débitrice pourraient être suspendus.

Lorsque l’hypothèque prend fin, selon la proposition de loi déposée, les parties disposeraient d’un délai de 3 mois et 40 jours pour conclure un accord amiable sur la valeur du bien hypothéqué. Le remboursement de la banque devrait intervenir dans les 9 mois de l’exigibilité de la créance.

2.6. La saisie-immobilière exécution en cas d’hypothèque inversée

Seul le bien hypothéqué constituerait, en l’espèce, le gage (préférentiel) du prêteur. Par dérogation à l’article 7 de la loi hypothécaire, le prêteur ne pourrait pas exercer de recours contre les autres biens de l’emprunteur… sauf en cas de diminution de la valeur du bien hypothéqué en raison d’une faute imputable à l’emprunteur ou à l’éventuel tiers affectant hypothécaire. A titre d’exemple de faute, l’on pense au défaut d’entretien du bien hypothéqué, un défaut d’assurance-incendie, une dégradation volontaire ou gravement négligente du bien, etc.

L’exigence d’un titre exécutoire pour le créancier tomberait (art. 1494 du Code judiciaire), dans la mesure où les parties pourraient modifier de gré à gré et sous seing privé les termes du contrat, en cours d’exécution.

Pour terminer, la survenance d’un RCD ou d’une autre situation de concours n’entraîneraient pas forcément la fin de l’hypothèque inversée.

3. Que penser de cette hypothèque inversée en droit belge ?

En Belgique, le sujet n’est pas nouveau. Nous nous rappelons que déjà en 2007, ce sujet se discutait au sein des établissements de crédit. L’absence de cadre légal et la survenance de la crise des subprimes aux Etats-Unis avaient renvoyé l’hypothèque inversée au frigo.

3.1. Point de vue de la banque

La principale préoccupation du banquier à l’égard de l’hypothèque inversée, outre la gestion particulière de dossiers de ce type, réside dans le fait que les risques encourus par le prêteur sont beaucoup plus importants que dans le cas d’un crédit hypothécaire ordinaire.

En effet, le banquier doit faire face aux risques liés à

  • la durée du crédit (risque de décès) ;
  • l’évolution du taux du marché (risque de taux d’intérêt) ;
  • l’évolution de la valeur du bien immobilier et du marché (risque immobilier) ;
  • etc.

C’est pour ces raisons que le montant prêté sera sans doute limité à une quotité maximale de la valeur de l’immeuble, selon les calculs auxquels les prêteurs s’adonneront.

Notons par ailleurs que le Conseil supérieur du logement avait déjà eu l’occasion de commenter l’hypothèque inversée dans un avis n°10 du 16 janvier 2008. A cette occasion, il pointait à juste titre qu’il ne faut pas perdre de vue que pour les prêteurs, pendant un certain nombre d’années, il s’agira d’un pur investissement sans rentrées financières (pas de remboursements de crédits, pas de recettes locatives, pas de produits résultant de la vente de logements).

3.2. Point de vue de l’emprunteur

Du point de vue de l’emprunteur, si l’hypothèque inversée permet d’assurer un niveau de vie plus confortable, sur un plan strictement économique, elle est coûteuse en termes d’intérêts, dès lors qu’aucun amortissement du capital n’est prévu en cours du crédit. Les intérêts sont donc comptabilisés sur l’entièreté du montant effectivement prêté, jusqu’au remboursement.

Dans un article publié dans le journal « L’Echo », en 2008, un exemple fictif imaginé par Test-Achats était publié pour alerter sur les dangers de l’hypothèque inversée : selon Test-Achats : une dame âgée de 68 ans et propriétaire d’un logement estimé à 220.000 EUR recevrait, via l’hypothèque inversée, un capital unique de 88.000 euros. À 87 ans, elle déménagerait en maison de retraite et devrait payer à la banque un montant total de 378.000 EUR, soit des intérêts représentant trois fois le capital de départ[4].

L’obligation du prêteur, prévue dans la proposition de loi, de fournir un tableau exemplatif et prévisionnel avant la conclusion du contrat de crédit, ainsi que le renfort de l’obligation d’information de la banque au bénéfice du candidat emprunteur sont des éléments essentiels compte tenu du coût que la formule de l’hypothèque inversée peut entraîner.

4. Questions en suspens

Certaines questions demeurent et devront sans doute faire l’objet d’amendements à la proposition de loi déposée, et notamment :

  • comment garantir l’entretien du bien hypothéqué si l’emprunteur quitte son bien pour se rendre dans une maison de repos ?
  • le conjoint de l’emprunteur ne pourrait-il pas disposer d’une sécurité particulière en cas de décès de l’emprunteur, en disposant du droit de demeurer dans le bien hypothéqué ?
  • quel serait le régime fiscal du mécanisme de l’hypothèque inversée ?
  • d’un point de vue prudentiel (notamment en application des normes édictées par le Comité de Bâle, la Directive CRD et le Règlement CRR), comment développer la politique interne des établissements de crédit à l’égard de l’hypothèque inversée ?
  • comment les intérêts seront-ils réellement capitalisés ?
  • un autre créancier pourrait-il saisir la rente hypothécaire versée à l’emprunteur ?
  • etc.

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Relisez notre étude consacrée au crédit hypothécaire ici.


[1]https://www.lachambre.be/kvvcr/showpage.cfm?section=/flwb&language=fr&cfm=/site/wwwcfm/flwb/flwbn.cfm?lang=F&legislat=55&dossierID=1741

[2] Terme inapproprié utilisé par le législateur dès lors qu’il n’y a pas de transfert du propriété au profit de la banque.

[3] Actuellement, en droit du crédit, la décision d’octroi d’un crédit par la banque ne peut reposer uniquement sur la valeur des sûretés conférées.

[4] Le détail du calcul n’était pas fourni, mais on imagine qu’il tient compte d’une capitalisation annuelle des intérêts, possible dans la proposition de loi déposée (article 3).

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