1. Contexte et évolution de la taxe Caïman
La taxe Caïman est un régime d’imposition par transparence instauré en 2015. Dès son origine, ce système a visé à empêcher les contribuables belges de placer leurs revenus dans des constructions juridiques établies à l’étranger et faiblement imposées, comme les trusts, fondations, sociétés écrans ou certains contrats d’assurance-vie. Ainsi, les revenus générés par ces structures sont directement taxés dans le chef de leur fondateur belge, comme s’il les avait perçus personnellement et selon le régime fiscal applicable à ce fondateur.
Depuis son entrée en vigueur, le 1er janvier 2015, la taxe Caïman a connu plusieurs réformes importantes :
- 2013 : les prémisses de la taxe Caïman avec l’obligation de déclaration, conséquence des révélations des « Offshore Leaks » ;
- 2015 : introduction de la taxation par transparence (loi-programme du 10 août 2015) ;
- 2017 : réforme d’ampleur par la loi-programme du 25 décembre 2017 ;
- 2018 : extension aux constructions « en chaîne », ajout d’une nouvelle catégorie de contrats d’assurance-vie et renforcement des règles anti-abus;
- 2023 : réforme majeure via la loi-programme du 22 décembre 2023, dite « Taxe Caïman 2.1 ».
2. La réforme 2023 de la taxe Caïman : un tournant majeur
La réforme de décembre 2023 répondait aux critiques de la Cour des comptes et visait à ajuster le régime. Toutefois, elle a introduit des changements majeurs, ce qui a suscité de vives réactions.
Nouveautés de la réforme de la taxe Caïman
- Redéfinition des notions : élargissement de « construction juridique », « fondateur » et « construction intermédiaire » ;
- Extension de la transparence fiscale : inclusion des revenus provenant de constructions détenues indirectement ;
- Application aux organismes de placement collectif : les fonds dont plus de 50 % des droits appartiennent à une seule personne ou à des personnes liées sont visés ;
- Exit Tax : taxation immédiate des bénéfices non distribués lors du départ à l’étranger ;
- Renforcement de l’exception de substance et durcissement de l’exonération pour les revenus déjà taxés en transparence ;
- Annexe obligatoire : ajout d’une annexe spécifique à la déclaration fiscale.
Critiques de la réforme de la taxe Caïman
Cette réforme a suscité de nombreuses critiques, car celle-ci :
- accroît la complexité au point de rendre certaines situations difficiles à gérer ;
- expose à un risque de double imposition, notamment si les revenus sont déjà taxés à l’étranger ;
- touche de manière disproportionnée les héritiers, actionnaires minoritaires et expatriés ;
- crée une insécurité juridique en raison de définitions floues.
3. L’arrêt de la Cour constitutionnelle n°117/2025 et la taxe Caïman
L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 septembre 2025 (n°117/2025) était très attendu. Il a annulé plusieurs dispositions de la réforme, tout en confirmant l’essentiel du dispositif.
Griefs des requérants
Les requérants invoquaient une violation :
- des principes d’égalité et de non-discrimination ;
- du principe de légalité de l’impôt ;
- du droit de propriété ;
- et des libertés européennes de circulation et d’établissement.
Dispositions annulées
-
La Cour a sanctionné plusieurs excès :
- Exclusion de substance : elle a jugé inconstitutionnelle la limitation de l’exclusion aux seules activités de biens ou services (vu notamment la manière dont la notion de substance est définie au niveau européen). La gestion d’actifs n’équivaut pas ipso facto à un montage artificiel. La disposition a donc été annulée.
- OPC > 50 % : la règle assimilant automatiquement un OPC détenu majoritairement par un même investisseur à une construction juridique est jugée disproportionnée. Le contribuable doit pouvoir démontrer l’absence de motif fiscal abusif.
- Exit Tax : la Cour a annulé la disposition imposant des bénéfices non distribués réalisés lorsque le fondateur n’était pas résident belge, jugeant que ces revenus échappent à la compétence fiscale de l’État belge.
- CFC : la Cour a jugé discriminatoire de limiter l’exemption au seul cas où la société intermédiaire est belge. Les mêmes effets doivent être reconnus lorsqu’une société étrangère est soumise à des règles CFC équivalentes.
Dispositions confirmées
-
En revanche, la Cour a confirmé la légitimité :
- du principe de la taxation par transparence, y compris en présence de constructions intermédiaires ;
- de l’Exit Tax dans son principe, jugée proportionnée et compatible avec les libertés européennes ;
- de l’application de la taxe Caïman aux distributions de trusts et aux chaînes de sociétés.
Analyse de la Cour
Cet arrêt illustre l’équilibre délicat entre, d’une part, la lutte contre l’évasion fiscale et, d’autre part, la sauvegarde des droits fondamentaux. La Cour rappelle que :
- La Belgique peut adopter des mesures restrictives dès lors qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général impérieux (fraude fiscale, équilibre du pouvoir d’imposition entre États membres) ;
- Mais ces mesures doivent rester proportionnées : les concepts flous (« bénéfices non distribués », « droits économiques ») ou les présomptions irréfragables sont attentatoires à la sécurité juridique et aux libertés de circulation.
En annulant certaines dispositions emblématiques de la réforme 2.1, la Cour a donc rappelé au législateur que la lutte contre l’évasion fiscale ne peut être menée au prix d’un affaiblissement disproportionné des garanties constitutionnelles.
4. Analyse et commentaire sur la taxe Caïman
L’arrêt n°117/2025 apporte plusieurs avancées importantes. Par exemple, les fonds d’investissement en lancement pourraient désormais renverser la présomption automatique de soumission à la taxe. De plus, les holdings voient leur substance reconnue, ce qui empêche leur assimilation automatique à des montages artificiels.
Points positifs
- Correction des excès de la réforme 2023 ;
- Restauration d’un équilibre entre lutte contre l’évasion et respect des droits ;
- Clarification de la portée de l’Exit Tax et de l’exception de substance.
Zones problématiques
- Exit Tax toujours lourde pour expatriés et héritiers ;
- Obligations de déclaration complexes ;
- Maintien de la taxation des revenus déjà taxés en transparence ;
- Persistance de la notion de « construction intermédiaire ».
5. Conclusion
La « taxe Caïman 2.1 » devait renforcer la lutte contre l’évasion fiscale. L’arrêt n°117/2025 de la Cour constitutionnelle a corrigé ses excès tout en préservant son principe. Le régime reste donc en vigueur, mais son application devra être nuancée et respectueuse des droits fondamentaux.
Pour les praticiens, cet arrêt constitue une base solide pour contester des applications trop rigides. Pour le législateur, il rappelle que la lutte contre l’évasion fiscale doit rester compatible avec la sécurité juridique et les libertés fondamentales.
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Le présent document a une portée informative, indicative et non contractuelle. Il n’emporte pas un conseil sur un cas particulier.